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18 avril 2011

Sucker Punch (Zack Snyder, 2011)



 Sucker Punch est un hallucinant ratage. Un suicide artistique commis par un Zack Snyder kamikaze en roue libre, aux commandes d’un zinc à 100 milllions de dollars crashé dans la mer saumâtre d’un tout numérique au rabais. Une impasse totale où le réalisateur régurgite une fois de plus les cartes postales formelles les plus éculées de 12 années post-Matrix. Conte rutilant cachant la gratuité de ses délires derrière l’alibi de l’onirisme, comme jadis Besson planquait les trous béants de Nikita sous le cache misère du « secret d’Etat »,Sucker Punch s’érige en ultime frontière du « geek porn », le stade terminal d’un cinéma de l’illusion. Celle qu’un mash-up dégénéré d’iconographies estampillées « geek approved » (jeu vidéo/animé/heroic fantasy/SF/burlesque…) suffit à tromper l’ennui d’une intrigue sans chair. L’illusion, encore, d’imaginer qu’on puisse avoir quelque chose à foutre du destin d’une brochette de bombasses virtuelles en body, emmenées par une « babydoll » à couettes dans le paradis mental que cette dernière s’est inventé en guise de refuge psychique après son internement. L’illusion, enfin, de penser que sous couvert d’une fumeuse digression sur la folie et la puissance de l’esprit, conclue en voix off par un message encore plus bateau qu’une pub Adidas, on livre un film « profond ». Pour sûr, les lectrices de Podium vont kiffer !
Mais Sucker Punch n’a de profond, infiniment, que son propre vertige du paraître, son veau d’or, son « précieux ». Un puits de réalité virtuelle à double détente : après une intro digne d’une chaîne musicale sponsorisée par Dickens, nous expliquant pourquoi la jeune Babydoll se retrouve internée, on passe d’un asile de fous à un bordel/club de strip (niveau 1 du monde imaginaire de Babydoll) puis à d’autres dimensions (niveau 2) où notre club des cinq en cuissardes défouraille pêle-mêle tirailleurs allemands période 14-18, dragon, androïdes futuristes… Des missions effectuées par nos effeuilleuses pour récupérer des indices propices à leur évasion (du club, donc de l’asile, mais en fait pas vraiment puisque tout se passe dans l’esprit ensuqué de Babydoll… vous n’avez rien compris ? Pas grave). C’est zoli, on a Saturne dans un ciel orangé, des Zeppelins dans un ciel tout cendre, des Samouraïs géants tatanés par Babydoll sous une neige bleutée. Même le réel a droit à sa palette chromatique irréelle, avec une n-ième désaturation dans les scènes se déroulant à l’asile, mais qui, contrairement à Watchmen, sent ici le réchauffé à plein nez.
Snyder a de l’imagination a revendre ? La belle affaire ! Quel est l’intérêt de cette débauche de 0 et de 1, d’effets clipeux emballés dans une B.O crispante, alors qu’aucune connexion ne se produit entre les pin-up à l’écran et le spectateur ? Embastillé dans son monde de codes et ses fantasmes de pilier de strip-bar, Snyder s’obsède à magnifier ses amazones de bordel au nom du « look cool » mais rate complètement l’incarnation de ses poupées. Qu’elles jactent, tuent, séduisent ou chouinent, la seule pensée que m’inspirent ces top models est l’envie de tirer… le rideau de cette laborieuse choucroute numérique. Le reste du casting ne va pas davantage nous bouleverser. Elle même choucroutée comme il faut et roulant les R, Carla Gugino hérite du (double) rôle le plus ridicule de sa carrière. Guide spirituel aux aphorismes assommants, bizarrement Leonard Nimoysé, un Scott Glenn empaillé nous attriste en ersatz à peine moins drôle du Rayden de Christophe Lambert dansMortal Kombat.
Certes, y a du kaboom. Mais même là, le tour de force de ce triste spectacle se limite à endormir quelques brebis égarées concernant ses soi disantes qualités esthétiques ! Je ne suis pas expert en jeu vidéo, d’autres ont souligné ailleurs mieux que moi le scannage par Snyder de pans entiers de best sellers des consoles (cf cet article bien senti sur le site Les Gameuses). Au-delà même de ce repompage grossier, comment peut-on ressentir la moindre excitation ou implication viscérale devant une impression aussi écrasante de déjà-vu dans la grammaire visuelle ? Franchement d’un niveau graphique équivalent à celui de cinématiques de jeux mille fois vues, les CGI de Sucker Punch s’ébrouent grassement dans une mise en scène cumulant les effets les plus cramés du monde.
 Dans Sucker Punch, la moindre chute d’objet au sol se fait forcément au RA-LEN-TI ! Pour Snyder, la force émotionnelle passe obligatoirement par le RA-LEN-TI… et aussi les poses de Cosette de son héroïne (Emily Browning en train de laver le plancher sur une musique mortifère, au secours !). Supposément original parce qu’il se déroule presque entièrement dans le monde rêvé d’une gamine brisée, Sucker Punch convoque à son désavantage (forcément) les souvenirs de Brazil et du Labyrinthe de Pan dans un final à l’image de son histoire : lourdingue et sans surprise. Vous apprécierez peut-être le voyage, c’est pas exclu.
Avec Sucker Punch, Snyder ne célèbre pas la culture geek, il l’enterre après lui avoir sucé la moelle une fois de trop. La partie est finie.
Sucker Punch, de Zack Snyder (1h50). En salles.